Je viens de finir La Peau et le toucher, d’Ashley Montagu, (220 pages aux Éditions du Seuil).
Je tiens à partager avec vous des extraits de cet ouvrage, source pour moi de
beaucoup de découvertes.
Je ne comprends pas que le contenu
de ce livre, dont la publication date de 1979, n’ait pas connu davantage de diffusion.
Il n’est jamais trop tard. Je vous livre les conclusions de M. Montagu. Chaque
conclusion suit des séries d’hypothèses et des exposés sur des expériences
scientifiques poussées ou des études très étayées.
Chapitre I : « Le sens du
toucher, celui qui est le plus étroitement associé à la peau, est le premier à
se développer chez l’embryon humain. Avant 8 semaines, alors que l’embryon n’a
encore que 3 centimètres de long, un léger coup sur la lèvre supérieure ou les
ailes du nez lui fera courber le cou et son corps s’éloignera du point de
douleur. » Cela me laisse songeuse sur la réponse d’un médecin à une femme
qui lui demande si lors de son avortement, l’embryon souffrirait :
« à ce stade-là, il ne sent rien, et cette question ne se pose même
pas : ce n’est pas considéré comme un être humain »…
« en tant que système
sensoriel, la peau est de loin l’ensemble d’organes le plus important du corps.
Un être humain peut vivre aveugle, sourd, et manquer totalement de goût et
d’odorat, mais il ne saurait survivre un instant sans les fonctions assurées par
la peau. Le cas d’Helen Keller, devenue sourde et aveugle dans son plus jeune
âge, et dont l’esprit a été entièrement façonné par les stimulations de la
peau, nous prouve que, lorsque les autres sens font défaut, la peau peut
pallier leurs déficiences à un degré extraordinaire. »
« Le fait que chez les
mammifères la mère lèche le nouveau-né, pendant une période assez longue,
correspond (…) à une chaîne de fonctions fondamentales.
(…) Tout en ayant pour but de
maintenir propre l’animal, cette pratique est (…) plus précisément destinée à
entretenir une stimulation adéquate des différents systèmes vitaux du corps_
les systèmes gastro-intestinal, génito-urinaire, respiratoire, circulatoire,
digestif, nerveux, endocrinien, et le système de reproduction.
(…) L’autostimulation cutanée du
corps de la mère est un facteur important de l’élaboration d’un fonctionnement
optimal des systèmes vitaux, que ce soit avant, pendant ou après la grossesse.
(…) la stimulation cutanée est
importante à tous les stades du développement, mais plus encore pendant les
premiers jours de la vie du nouveau-né, au cours de la grossesse, du travail,
de l’accouchement, et aussi lors de la période d’allaitement. (…) la
stimulation cutanée précoce exerce une influence tout à fait bénéfique sur le
système immunologique »
Chapitre II : « Dans des
régions où l’eau est rare, comme chez les Esquimaux du pôle Nord, ou dans les
hauts plateaux du Tibet, les mères en arrivent parfois à lécher leurs jeunes
enfants, surtout les aînés, au lieu de les laver avec de l’eau de source. Le
fait est que les mères, chez les humains, comme chez les grands singes, ne
lèchent pas leur progéniture.
La question à laquelle nous devons
répondre ici est de savoir quels sont, s’il en existe, les équivalents du
léchage auxquels, chez les humains, la mère a recours pour préparer les
systèmes vitaux de l’enfant à un fonctionnement adéquat. »
(…) « Les contractions
utérines ont à peu près la même fonction et aboutissent aux mêmes effets que le
léchage du nouveau-né chez les autres animaux. »
« les enfants [nés] par césarienne [ont]
des troubles de fonctionnement respiratoire, génital et
gastro-intestinal. » « Les bébés nés par césarienne souffrent aussi
d’un certain nombre de handicaps à la naissance, à commencer par un taux de
mortalité deux à trois fois plus fort que dans les naissances normales. »
« Cependant, si la phase de
travail s’[est] effectuée avant la délivrance par césarienne, cette différence
s’effac[e ]. »
Cela me laisse songeuse sur
l’augmentation de la pratique de la césarienne sur « commande », pour
favoriser le choix d’un jour (celui où le compagnon pourra être là, celui où le
gynécologue de suivi sera présent, avant son départ en vacances…) ou pour répondre
à la peur de la douleur des contractions… Savez-vous d’ailleurs que le taux de
césarienne au Brésil est de 80% (mais est en train de diminuer ces deux, trois
dernières années, dû à un début de prise de conscience des conséquences de cet
acte). (Merci Leticia).
« si les bébés nés pas
césarienne [sont] suffisamment caressés les premiers jours de leur vie, leur
développement physique et leur comportement [est] considérablement
modifié. »
« le bébé doit sortir dès que
sa tête a atteint la taille maximale compatible avec son passage dans le canal
de naissance. Le fait est là : le fœtus humain naît avant que sa période
de gestation soit achevée. » « la deuxième moitié de son
développement se poursuit hors de la matrice. (…) l’utéro-gestation (ie la
gestation à l’intérieur de la matrice) se prolonge en extérogestation
(gestation à l’extérieur de la matrice). Bostock a proposé que la fin de
l’extérogestation soit fixée au stade où l’enfant commence à courir à quatre
pattes. »
Cela me laisse songeuse devant
l’attitude de ces gens qui considèrent que dès la naissance, le petit doit
s’auto-suffire et que s’il est « trop exigent », c’est qu’il est
capricieux! Comme s’il pleurait exprès pour embêter les adultes…
« C’est pendant la première
année que le cerveau se développe le plus, et le plus rapidement. »
Cela me laisse songeuse sur ce
qu’on apporte comme nourriture à ce développement durant cette première année,
d’autant plus quand le congé parental (correctement rémunéré) est de 2 mois et
demi et que l’enfant est alors confié en collectivité où quatre autres bébés
(si ce n’est plus dans beaucoup d’endroits ne respectant pas la législation)
doivent partager les possibilités d’un adulte plus ou moins formé, patient,
bienveillant et sain…
Chapitre III : L’allaitement
au sein.
« Le colostrum représente la
meilleure garantie contre la diarrhée chez le bébé. »
« donner le sein a un certain
nombre de conséquences bénéfiques pour le nouveau-né : immunologiques,
nerveuses, psychologiques et organiques. »
On dit souvent que les enfants
allaités ont moins de maladie que ceux nourris au biberon. Mais les chiffres
sont beaucoup moins tièdes : « Au cours d’une étude portant sur 173
enfants suivis de la naissance à l’âge de 10 ans, comprenant à la fois des
enfants nourris au sein et d’autres non, on s’est aperçu que les enfants qui
n’avaient pas été allaités au sein avaient 4 fois plus d’affections
respiratoires, 20 fois plus de diarrhées, 22 fois plus d’infections diverses, 8
fois plus d’eczéma, 22 fois plus d’asthme et 27 fois plus de rhumes. »
« allaiter un enfant pendant
la première année de sa vie a sur son développement ultérieur des effets
positifs ressentis jusque dans l’âge adulte. L’expérience montre qu’on devrait donner
le sein à l’enfant pendant au moins 12 mois, et ne cesser que si l’enfant y est
prêt. »
Cela me laisse de nouveau songeuse
sur le congé maternité de 2 mois et demi…
« L’allaitement à lui seul n’y
suffit pas. C’est la profonde intimité de la mère et de son enfant qui donne
tout son sens au geste de donner le sein. »
« le développement de la peau,
en tant qu’organe, profite largement des bienfaits du contact avec le
sein. »
Chapitre IV. Le bercement.
« L’histoire du déclin et de
la disparition du berceau est typiquement une suite de toquades, de modes et
d’erreurs dictées par un autoritarisme mal informé et aveugle. Dans les années
1880, les médecins et infirmières propagèrent l’idée qu’il était dangereux
d’être trop indulgent avec les enfants. On pensait que bien des maladies
d’enfants avaient pour origine l’intervention bien intentionnée de parents trop
indulgents. On en vint à décréter autoritairement que l’usage du berceau était
la meilleure des preuves de cette complaisance : le berceau devait
disparaître. »
« Dans son manuel de
puériculture publié en 1892, Lisbeth D. Price, célèbre formatrice
d’infirmières, insiste sur le fait que « le bébé ne devrait jamais être
bercé par les nourrices, ni consolé sur l’épaule. »
« en 1916, le docteur Luther
Emmett Holt, pédiatre, conseillait d’utiliser un lit que l’on ne peut pas
balancer, afin que « cette pratique inutile et vicieuse ne se prolonge
pas. » « Devant une telle levée de boucliers contre l’usage du berceau
qui « crée des habitudes », qui est « inutile et vicieux »,
qui « gâte » et même ruine la santé de l’enfant, quelle mère aimant
sincèrement son petit aurait pu, avec bonne conscience, négliger ces
injonctions, ne pas supprimer une pratique si « préjudiciable »? »
« Le conditionnement des mères
fut facilité par l’apparition à cette époque d’une psychologie novatrice qui
acquit très vite une grande influence : le « béhaviorisme ». (…)
La théorie du béhaviorisme prétendait que la seule approche approfondie
possible de l’enfant était l’étude de son comportement. (…) Tout ce qui ne peut
être observé _ les désirs de l’enfant, ses besoins, ses sentiments_ était
exclus et n’intéressait pas les béhavioristes. Pour eux, tout se passait comme
si rien de tout cela n’existait. Les béhavioristes tenaient à traiter les
enfants comme s’ils étaient des objets mécaniques que l’on pouvait remonter
suivant le souhait de chacun. Les enfants étaient à la merci de leur environnement,
et par leur propre comportement, les parents pouvaient en faire ce qu’ils
voulaient. Toute sentimentalité devrait être écartée, car chaque preuve d’amour
et chaque contact physique intime rendrait l’enfant trop dépendant de ses parents.
(…) Les pédiatres conseillaient aux parents d’adopter une attitude symboliquement
distante envers leurs enfants, en maintenant toujours entre eux un écart de la
longueur d’un bras, et en les éduquant suivant un modèle caractérisé par
l’objectivité et la régularité. L’enfant devait être nourri à l’heure, pas à la
demande, et uniquement à des horaires précis et réguliers. S’il pleurait, au
cours des trois ou quatre heures d’intervalle entre les repas, il fallait le
laisser pleurer jusqu’à l’heure de la
tétée suivante. On ne devait pas le prendre dans les bras lorsqu’il pleurait,
car si on cédait à un tel élan de faiblesse, l’enfant serait gâté et se
mettrait à pleurer chaque fois qu’il voudrait quelque chose. Ainsi des
millions de mères, pourtant affectueuses, laissaient pleurer leur bébé,
obéissant au meilleur avis en la matière, résistant courageusement à
« l’impulsion animale » de les lever et de les consoler dans leurs
bras. Au fond, la plupart des mères n’étaient pas d’accord, mais
qu’étaient-elles donc pour contredire les spécialistes? Personne ne leur avait
même jamais dit qu’un spécialiste devait
probablement savoir. »
« Bien qu’il soit aujourd’hui
reconnu que cette façon de penser est malsaine et a été nocive pour des
millions d’enfants dont elle a perturbé la vie adulte, ce mode d’éducation
sévit encore largement parmi nous. »
Montagu démontre que le bercement
est bon non seulement psychologiquement et affectivement, mais aussi
physiologiquement : « Chez les adultes (par exemple dans un
rocking-chair), comme chez les bébés, le balancement augmente le rythme cardiaque
et favorise la circulation : il facilite la respiration et diminue les
risques de congestion pulmonaire; il stimule les sensations musculaires; et ce
qui n’est pas le moins important, il entretient le sentiment d’une relation
étroite au monde. Lorsqu’il est bercé, un bébé sait qu’il n’est pas tout seul.
Bercer provoque une stimulation cellulaire et viscérale générale. »
La peau et le sommeil :
« Une perturbation dans le processus normal des soins maternels (…) peut
avoir des conséquences graves sur la capacité de l’individu à s’endormir ou à
bien dormir; (…) être tenu, porté, serré tendrement, bercé, jouent un rôle
important dans le développement du sommeil, dont les schémas de fonctionnement
peuvent durer toute la vie. »
« Plus on s’occupe du bébé, moins
il pleure. »
« Le besoin d’une stimulation
tactile tendre est un besoin primaire qui doit être satisfait pour que le bébé
se développe et devienne un être humain sain et équilibré. »
Chapitre V : La peau et la
sexualité
« Les individus qui présentent
des anomalies sexuelles » (frigidité ou au contraire quête éperdue de
contact ou sadisme…) « ont pâti dans leur vie d’enfant d’une insuffisance
de soins maternels, et en particulier de l’impossibilité d’une communication
affective par la peau. »
Montagu relate que bien des femmes
vont jusqu'à l’acte sexuel pour avoir en fait un besoin de contact enfin satisfait.
Chapitre VI : Croissance et
développement
Comme pour l’eczéma, l’asthme a des
corrélations avec l’absence de tactilité tendre par autrui.
« on a pu noter que prendre
dans ses bras quelqu’un qui a une crise d’asthme est susceptible d’apaiser la
crise ou même de l’arrêter. »
Chapitre VII : la culture et
le toucher
J’ai bu littéralement toute la
description de la culture du toucher chez les Esquimaux netsilik. Les bébés
sont portés dans le dos des mamans en action, dès manifestation d’un besoin
(par grattement du dos de la mère ou tètement de sa peau), le besoin est
immédiatement satisfait. Les bébés ne pleurent quasiment jamais.
« Lorsqu’il atteint 3 ans,
l’enfant netsilik a acquis « les deux traits de caractère nécessaires à
son fonctionnement d’être humain autonome », à savoir les attitudes
altruistes et agréables dans ses relations avec les autres, et la maîtrise de
la communication par le toucher. Parce que les relations de domination
sont absentes des relations parentales et surtout du rapport mère-enfant,
l’individu netsilik et sa société réalisent un équilibre harmonieux. »
Je reproduis ici presque
intégralement l’ « Envoi » :
« Dans les pages précédentes, nous avons
vu que l’importance du toucher pour l’homme est infiniment plus grande que nous
n’en avons eu conscience jusqu’ici. La peau est un organe déterminant dans le
développement du comportement humain. Elle agit comme un récepteur sensoriel
qui enregistre et répond au contact et à la sensation du toucher. Chaque
sensation correspond à un message humain fondamental, et ce, presque dès
l’instant de la naissance. Le stimulus de la sensation brute du toucher est
vital pour la survie de l’organisme. (…) le besoin de sensation tactile devrait
être ajouté à la liste des besoins organiques (…)
Les besoins fondamentaux, définis
comme des aspirations qui doivent être satisfaites pour que l’organisme
survive, sont les besoins d’oxygène, de liquide, de nourriture, de repos, d’activité,
de sommeil, les besoins d’élimination urinaire et fécale, l’aptitude à fuir le
danger et à éviter la douleur. On peut remarquer que la sexualité ne fait pas
partie des besoins fondamentaux, étant donné que la survie de l’organisme n’est
pas soumise à la satisfaction de ce besoin. Il n’y a que quelques espèces qui
ont besoin de satisfaire leurs pulsions sexuelles pour pouvoir survivre. Quoi
qu’il en soit, les observations ont incontestablement prouvé qu’aucun organisme
ne saurait survivre très longtemps sans stimulation cutanée d’origine externe.
Il est clair que les stimulations
cutanées sont nécessaires à la survie de l’organisme. Et pourtant, cette
constatation élémentaire ne semble pas vraiment reconnue. Le toucher, la forme
de stimulation tactile à laquelle nous nous sommes particulièrement attachés
dans ce livre, est très important en tant que stimulation cutanée. Par toucher,
nous entendons le contact satisfaisant d’une autre peau ou la sensation
satisfaisante de la sienne propre. Le toucher peut se faire en caressant, en
cajolant, en tenant dans les bras, en frappant ou en tapotant avec le doigt ou
avec la main, il peut aller d’un simple attouchement corporel à la stimulation
tactile totale dans l’acte sexuel.
Nous avons survolé brièvement les
différences qui existaient de culture à culture dans la manière d’exprimer le
besoin de stimulation tactile et de la satisfaire. Mais le besoin lui-même est
universel et partout le même, même si la façon dont il est réalisé peut varier
selon le lieu et l’époque.
Les observations présentées dans ce
livre suggèrent qu’un plaisir tactile satisfaisant pendant la petite enfance et
pendant l’enfance est fondamental pour le développement ultérieur vers un
comportement équilibré de L’individu. Les résultats d’expériences ou de
recherches sur les animaux _ et aussi les observations sur les hommes_ montrent
que la frustration tactile au début de la vie du bébé aboutit à des anomalies
du comportement dans sa vie adulte. » Aussi importantes que soient ces
données théoriques, ces données ont leurs implications pratiques qui nous intéressent
ici. » En un mot, comment ces découvertes peuvent-elles contribuer à l’amélioration
de l’équilibre des êtres humains?
Il devrait être évident que, pour
le développement de la personne, la stimulation tactile doit commencer dès la naissance. L’enfant qui vient de naître doit aussitôt être mis dans les bras de sa
mère et rester allongé près d’elle aussi longtemps qu’elle le désire. Il
doit être mis au sein dès que possible. Il ne faut pas le placer dans un
berceau ni l’emmener dans une « pouponnière ». On devrait rétablir et
généraliser le berceau traditionnel qui est le meilleur substitut qu’on ait pu
inventer et le meilleur auxiliaire de bercement dans les bras de la mère. Il
est difficile de trop cajoler un bébé_ une personne sensée et raisonnable ne
surexcitera probablement pas un bébé; mais si l’on hésite entre les deux
attitudes, autant faire trop de caresses que pas assez. Au lieu d’utiliser une
poussette, il vaut mieux que le père ou la mère porte l’enfant sur le dos dans
un support équivalent au parka esquimau ou à la maïda chinoise.
On doit éviter de cesser trop
brusquement toutes ces cajoleries. Et nous recommandons aux parents, dans les
sociétés occidentales et aux États-Unis en particulier (Montagu est américain),
d’être plus démonstratifs entre eux et avec leurs enfants qu’ils ne l’ont été
par le passé. Ce n’est pas tant les mots que les gestes qui transmettent les
émotions et l’affection dont enfants et parents ont en réalité grand besoin. Les
sensations tactiles acquièrent une signification associée aux situations dans
lesquelles elles sont éprouvées. Lorsque le toucher transmet l’affection et l’émotion
qu’il implique, ces sensations sécurisantes et leurs significations resteront
associées au toucher. Mais quelqu’un qui n’aurait pas eu une expérience tactile
satisfaisante dans l’enfance serait privé de ces associations et aurait en
conséquence des difficultés à établir des relations avec les autres. D’où l’importance
du toucher pour l’homme. »