J'avais envoyé cet article cet été à la revue Rêve de femmes, mais il se trouvait entre le thème du dossier et le style du partage et du coup, n'a pas été sélectionné:
"Mon ami dragon Falcor m’annonce
toujours les passages et cycles de ma vie. Il vient à mes côtés ici pour vivre
le rêve du don et de l’accompagnement de la vie.
Ce petit matin-là,
alors que je suis allongée sur la plage, rêvant devant ces premiers rayons de
soleil d’automne qui commencent à sourire dans le ciel, un éclair blanc sort de
la mer et le dragon de mon enfance, mon compagnon depuis presque toujours,
surgit des vagues. Il vole et dans un grand souffle vient se poser à côté de
moi de tout son long. Quand Falcor apparaît, c’est en général que quelque chose
d’important va se passer dans ma vie. Falcor a des grands yeux sombres aux
longs cils. Ses poils blancs duveteux, ses oreilles qui se balancent comme ses
toutes petites ailes, tout chez lui a un air de douceur. Je rêve depuis
longtemps de voler sur le dos de Falcor. Sa présence m’emplit de bonheur et
d’attente en même temps : joie de le sentir à mes côtés, impatience de
partir à l’aventure avec lui, grâce à lui. Mais il n’est pas pressé, sa
langueur fait partie de sa douceur. Alors je prends des galets dans le creux de
mes mains. Falcor cependant tourne sa grande tête vers mes genoux et la dépose
dessus en soupirant visiblement de contentement. Alors je passe mes mains dans
ses poils. Il ronronne comme un gros chat sous mes caresses. Entre le son des
vagues, la chaleur douce du soleil et de mon compagnon, ainsi que son bruit de
bonheur, il me semble à la fois m’évaporer dans la lumière et l’eau si bonnes
et sentir la Vie battre pleinement en moi.
Puis
son regard se plonge dans le mien : « tu es enceinte »
m’annonce-t-il. Immédiatement, une joie immense m’emplit. Je ne suis certes
plus avec le papa, mais qu’importe, je souhaite depuis si longtemps porter la
vie. Mais soudain j’ai peur. Chacun de
nos pas avancent ou reculent selon notre degré de peur ou de désir. Là
j’accueille la nouvelle, mais mille et une questions apparaissent : je
veux être respectée pendant ma grossesse, pendant mon accouchement et faire que
mon enfant se sente profondément aimé, comment faire? Je connais les protocoles
des gynécologues qui ne parlent que de poids, de mesures, de traitements et
d’interventions, je connais les accouchements où l’on crie, on tire, on pousse,
on coupe, on césarise à tire larigot, je connais ses enfants affublés de
caprices, d’humeurs, d’intentions, alors qu’ils ne demandent qu’à être tout
contre et profondément compris. Je ne veux rien de tout cela. Je le rejette
d’un bloc. Comment y échapper? Falcor souffle et de ses narines fumantes se
dessinent des formes, comme autant de pistes possibles. Est-ce que je rêve trop
grand? Je vois des femmes, comme des sœurs, qui me regardent de manière
bienveillante, elles écoutent, leurs yeux pétillent de joie et de bonté. Je les
vois qui posent leurs mains sur mon ventre et parlent avec amour à mon petit.
Elles dessinent avec de la terre de couleur de beaux tableaux dessus tout en
disant des bénédictions. Nous rions beaucoup. J’entends des chants, beaucoup de
chants, comme des rythmes d’Hawaï qui appellent mon petit. Je chante une longue
prière, comme une myriade de notes-bougies qui ouvre mon corps, balaye la
douleur, la transcende en bonheur et laisse mon petit passer. Je vois ses yeux
si courageux, si innocents, tout imprégnés de divinité. Il tête. Mon corps est
sa source. Et je le vois sourire, et rire, et dormir en suçant son petit pouce
et poser ses mains sur mes joues pour les caresser. Falcor : « ton
fils : on ne l’entendra quasiment jamais pleurer. » Alors le désir
balaye la peur, un grand « oui » à la Vie prend forme et soudain,
je veux me battre pour ce rêve, et pour qu’il soit possible pour d’autres,
d’autres enfants, d’autres porteurs de Vie.
Les pseudos-réalités s’effondrent toujours sous les galeries que
creusent sous elles les soi-disantes utopies.
L’œuf a pris chair
et a fait de mon ventre son nid. J’ai rencontré d’autres femmes enceintes, nous
avons célébré nos grossesses et nous nous sommes entraidées. J’ai fait un
parcours pour accoucher à domicile et j’ai été accompagné par une doula et une
sage-femme libérale effectuant cette très noble œuvre d’aider les femmes à
accoucher chez elles, dans l’intimité et la confiance. J’ai chanté durant tout
mon accouchement en priant et en parlant aussi à mon petit bébé. Mon petit
oiseau en qui je déverse tous mes chants grandit chaque jour. Je ne
comprends pas les propos sur l’allaitement : « c’est votre
choix! » Pourquoi alors ne pas dire la même chose de la marche? « Tu
peux marcher, tu peux aussi remplacer tes jambes par des béquilles, c’est ton
choix! » Comment peut-on banaliser
le fait que des personnes choisissent que leur enfant soit 27 fois plus enrhumé
(si on ne prend que cette donnée) que les autres, en prenant du lait
industriel?
Puis presque cinq mois
ont passé et une nuit, je rêve d’oiseaux aux belles plumes colorées
et harmonieuses. Mes cheveux sont devenus de paille et de laine. Je prends
rendez-vous dans un salon de coiffure que l’on m’a conseillé, « pas comme
les autres », où l’on utilise des produits confectionnés sur place à base
d’argiles, d’huiles, d’hydrolats, d’eaux florales… : « L’Oiseau
bleu » ! Nathalie m’enveloppe de son regard : « est-ce que vous
allaitez? Avez-vous eu votre retour de couche? Quelle est l’odeur de votre
sueur actuellement? » Rien que d’entendre ces questions, cela fait du
bien. Enfin on me parle de choses réelles. Tandis que mon petit est dans les
bras de nounou Valérie dans notre nid, je me fais cajolée par une autre femme
emplie de bonté. Je vois dans ce salon de belles personnes aux cheveux
« poivre et sel » remplis de santé, aux regards lumineux, je vois une
jeune fille aux boucles denses dans lesquels on a envie de passer les doigts.
Et puis Nathalie me masse le crâne, me fait m’allonger sur un matelas ultra confortable
pour le shampooing et le soin. Des volutes décorent tout le salon. Nous avons tant besoin de tels cercles de
bonté qui rayonnent de plus en plus en et autour de nous, une bonté qui
rencontre l’unicité et le rythme de chacune et chacun. « Vous allez avoir votre retour de
couche » m’annonce Nathalie.
Et
quand je sors du salon, qui est-ce que je vois passer dans le ciel d’azur dans
un éclair blanc? Oui, c’est bien mon ami Falcor : il me fait un clin
d’œil, la boucle est bouclée."
Le salon de coiffure est bien L'Oiseau bleu, au 17 rue Gubernatis, à Nice.